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LE VAMPIRE INTER'ACTIF, le blog d'actualités de la maison d'édition Le Vampire Actif
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6 avril 2009

§IAMOISES : a work in progress... Intermède 2

Le Vampire Actif présente...

 

§iamoises, Patrick Dao-Pailler

Partie I, chapitre 6 : fragment

 

§§§


P1040342couvLucy

 

J’ai rêvé et j’ai écrit mon rêve. Pour le lui faire lire. Je n’aurais pas pu lui raconter. Elle aurait fait mine de ne pas entendre. Mais lire, elle ne peut pas s’en empêcher. Les mots écrits grimpent et s’engouffrent en elle. Elle s’offre à eux sans résistance.


Nous sommes sur terre. Une portion de globe. C’est comme ça que je perçois tout d’abord les choses, de très haut, comme si j’arrivais de l’autre bout de l’univers. Ce que je vois ensuite, tout autour de moi, c’est un petit morceau de monde qui se rejoue à l’infini, comme pris en sandwich entre deux miroirs. (Je creuse ici dans mon impression première.) Au début du rêve, tout un monde t’est donné d’un seul coup. Dès la première image tu sais où tu es. Pas de scène d’exposition comme au théâtre. Ce qui va se jouer, tu ne le sais pas encore, mais tu sais là où ça va se jouer. Tu connais les règles de ce monde, ses lois naturelles, ses lois relationnelles. Ce monde du rêve que tu habites, tu en as une connaissance infuse, intime.


Là-bas, il n’y a que des siamois. Tout marche par deux. C’est un monde fait ainsi, conçu pour les siamois. J’étais un peu étonnée de n’ouvrir des portes que sur des corps doubles. Mais toujours je savais, avant d’ouvrir chaque porte, je savais que derrière allait apparaître… c’est pour cela d’ailleurs, que j’ouvrais des portes, toujours – c’était ma principale activité là-bas : ouvrir des portes. Pour avoir confirmation, je crois, de ce que je savais déjà. Pour m’entêter de ce motif récurrent : des corps siamois, hom­mes, femmes, enfants. Des animaux siamois peut-être. Je ne suis pas allée dans le zoo, mais je me les imaginais : les éléphants doubles, les girafes aux cous clivés, penchant d’un côté et de l’autre. Oui, j’avais de l’imagination dans ce rêve, et j’imaginais les possibilités de ce monde. Elles m’apparaissaient par fulgurances. Par frissons. Chaque frisson accouchait d’un possible : une cage avec deux fois plus de barreaux, un ascenseur double capacité, un escalier deux fois plus en colimaçon, un immeuble large comme deux collines… tout s’élargissait comme l’utérus d’une femme qui accouche.


Moi rêvant de moi rêvant de... Comme un rêve double lui aussi.


C’est étrange, maintenant. Tout le monde était deux, et pas une seule fois je ne t’ai sentie à mes côtés. J’étais tellement absorbée par eux.


A force d’ouvrir des portes, j’ai été prise de malaise. Je ne sais pas pourquoi. Parce que je ne te sentais pas là, peut-être. Eux étaient si parfaitement complets, et moi si parfaitement incomplète. C’était ça l’angoisse du rêve. A partir de cet instant, je n’ai pas cessé de vouloir me réveiller. Mais ça a continué…


A force d’ouvrir toutes les portes j’ai fini par me retrouver dehors. Il y avait toute une foule de siamois. Ce doit P1040357couvêtre jour de parade, me suis-je dit. J’ai repensé à ce vieux film que tu m’as raconté. Où des créatures difformes sont exposées dans un cirque de foire.Tu m’as dit qu’ils avaient pris de vrais monstres pour le tournage. De vraies sœurs siamoises. J’ai cru que c’était là que me portait la foule, que nous allions tous au cirque. Les gens marchaient d’un même élan, dans la même direction. Ils marchaient com­me nous, Ady. Ils balançaient les deux jambes au centre, prenaient appui sur elles, puis ils balançaient les deux jambes extérieures vers l’avant. Ils avançaient vite. Plus vite que nous. Ils ont l’habitude là-bas ! J’ai demandé autour de moi « où va-t-on ? », des siamoises m’ont tendu un miroir en me souriant. Un miroir brisé.


Quand je t’ai vue, quand j’ai su que c’est vers toi qu’ils al­laient, j’ai voulu courir, j’ai voulu aller au devant, mais ils étaient trop nombreux, et ils allaient tellement plus vite que moi. (Je me suis rendu compte que sans toi je ne pouvais pas courir.)


Tu étais assise sur le rebord d’un pont, Ady. Tu souriais. Ils t’avaient mis une corde autour du cou, et toi tu continuais à sourire. Ils semblaient si joyeux de te voir. Tu étais là, seule, comme moi. Mais pourquoi ne me voient-ils pas, me disais-je. Pourquoi ne me redonnent-ils pas ma place auprès de toi ? Ils ne me voyaient pas. Je me suis mise à chercher de la colle, Ady, c’est bête n’est-ce pas ? C’est bête les rêves… J’ai demandé autour de moi si quelqu’un n’avait pas de la glu sur lui. Je m’en étais déjà fait une représentation parfaite : un gros tube cylindrique et jaune. Et on m’a dit : lui en a, lui en a, mais impossible de savoir qui, dans cette foule, impossible de les trouver. Quand enfin quelqu’un m’a tendu quelque chose, ce n’était pas le tube que j’attendais mais un élastique, de la taille de ceux que l’on met dans les cheveux pour s’en faire des queues de cheval.
...

A suivre le 25 avril 2009...

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Commentaires
I
Encore gagné Edwood!... Merci pour ton passage par ici. Nous espérons que l'ouvrage intégral te plaira!<br /> Bien à toi,<br /> <br /> Irma Vep
E
Cette mise en bouche me donne fort envie.<br /> Cette petite allusion au Freaks de Browning( à moins que je ne me trompe!) ne m'a pas laissé insensible.<br /> Bon courage pour cette dernière ligne droite éditoriale!!!<br /> <br /> Amitiés.
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