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LE VAMPIRE INTER'ACTIF, le blog d'actualités de la maison d'édition Le Vampire Actif
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21 septembre 2013

NATIVITÉ CINQUANTE ET QUELQUES de Lionel-Édouard Martin, à paraître mi-novembre 2013, extrait n°2, p. 41-43

     ... Chez Boulanger ça sentait, rien que de normal, le pain. Dès l’aube la rue du Moulin-Roy – dans sa partie qui mène à l’église Saint-Martial et où se trouvait sise la boulangerie Jean Dieu – la rue sentait le pain, le bon pain d’aube annonciateur du jour, un chant de coq d’odeur de pain. Après, l’odeur déclinait : six heures et demie, c’était son point culminant, sortant par la porte ouverte de la boutique elle faisait corps avec la rue, gagnait les étages, éveillait les dormeurs.
      Jean Dieu.
     C’était marqué sur sa devanture : Boulangerie Jean Dieu, comme ça. Boulangerie Dieu c’était une arrogance. Jean Dieu déjà ce n’était pas bien commode – encore que Jean ça vous ajoute comme une humilité. Mais Dieu tout court c’était une arrogance, Jean Dieu se serait bien passé de s’appeler comme ça, d’ailleurs : alors l’afficher tout crûment, sans le flanquer de Jean, sur la boutique, hein. Ils auraient dit, les clients : Je vais chez Dieu, quand ils allaient chercher leur miche ? On aurait cru qu’ils mouraient, oui, l’œil au ciel. Je vais chez Dieu ; ça évoque des glas, des agonies, des curés portant l’extrême onction ; quand on tient un commerce c’est de la mauvaise réclame, ça vous ruine la pratique. Je vais chez Jean Dieu c’est meilleurement chrétien quand même.
     … Déjà ces andouilles le dimanche – les hommes achètent le pain, le dimanche, pour le plaisir de faire la queue, dégoisant des bêtises tandis que les femmes après la messe mitonnent le déjeuner – déjà ceux de son âge, à Dieu, qui avaient eu comme lui dix ans vers 1910 à l’école communale et arboraient quarante-cinq ans plus tard des visages tout à groseilles et de la bedaine, ils disaient bien à suffisance, ces andouilles, pas-sant commande : Dis donc, Dieu, mets-moi donc une hostie pas trop cuite à cause de mon dentier.
     Et quand la petite vendeuse – c’était à l’époque la fille Dumortioux, si elle avait dix-sept ans c’était bien le diable, on l’avait connue toute gamine – répondait sérieuse comme une papesse que désolée, il n’y avait pas d’hostie – car on s’adressait directement à Jean Dieu, sans lui parler à elle, qui portait, Jean Dieu, des panetières, rangeait des religieuses, des mille-feuilles sur le présentoir, en constant va-et-vient du fournil à la boutique, quand elle s’en excusait bien, la petite vendeuse, qu’il n’y ait pas d’hostie, mal à son aise, jeunette, devant ces hommes couperosés, pansus, qui devaient se croire à l’église : alors ils répondaient l’air faussement chagrin : Ben, dans ce cas, mets-moi donc un corps du Christ – que les vieilles s’en offusquaient mais c’était encore plus drôle, et les mettaient en joie pour l’apéritif.

le boulanger de valorgue2Illustration : détail d'un cliché issu du film d'Henri Verneuil, Le boulanger de Valorgue, 1953.

 ***

 Pour participer collégialement à la sortie de l'ouvrage, il est possible de souscrire en se rendant ici.

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